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A Météo-France, comment se décide un niveau de vigilance orange ou rouge ?

La carte quadricolore de Météo-France est rarement de bon augure. Depuis 2001, c’est ainsi que l’institut météorologique avertit population et services publics des risques liés aux intempéries. Le dispositif de vigilance envisage quatre niveaux de risque : vert (pas de vigilance particulière), jaune (soyez attentif), orange (soyez très vigilant) et rouge (vigilance absolue).
Comment sont construites ces cartes de vigilance ? Comment les météorologues décident du niveau de risque ? Avec quels outils et quelle réussite ? Le Monde a tenté de répondre à ces questions, avec l’aide de Pierre Tabary, directeur adjoint à la direction des opérations pour la prévision et chef du projet vigilance.
Le dispositif de vigilance de Météo-France a été créé en 2001, deux ans après les violentes tempêtes qui ont balayé la France en 1999. Si le service météorologique disposait déjà d’informations pertinentes, il manquait, selon M. Tabary, de « leviers de communication, notamment auprès du grand public ». La carte de vigilance, « la plus simple et compréhensible possible », transmise simultanément au grand public, aux médias et aux autorités, est alors apparue comme une réponse satisfaisante.
A sa création, la vigilance portait sur cinq paramètres : vent violent, fortes précipitations, orages, neige-verglas et avalanches. Au lendemain de la canicule de 2003 – qui a causé la mort de près de 15 000 personnes –, en 2004, la canicule est intégrée au système de vigilance de Météo-France. Aujourd’hui, neuf phénomènes sont couverts : vent violent, pluie-inondation, inondations, orages, neige-verglas, avalanches, canicule, grand froid et vagues-submersion.
Pour émettre une vigilance météorologique, les ingénieurs de Météo-France s’appuient sur des prévisions. A partir d’observations et de « l’état initial de l’atmosphère » – centres de pression, conditions de vent et de précipitations –, des modèles vont prévoir les états futurs de l’atmosphère. Les ingénieurs météo disposent d’un certain nombre d’outils d’observation dont des ballons embarquant baromètre, thermomètre et autres instruments de mesure, de nombreux radars, et des satellites fournissant des données essentielles, les géostationnaires, qui scrutent l’Europe et l’Afrique, transmettant des informations toutes les cinq minutes.
On parle de prévisions, au pluriel : une hypothèse de situation météo ne suffit pas, les météorologues « font légèrement varier les conditions initiales et le paramétrage du modèle pour avoir la gamme des possibles en termes de scenarii et ainsi, se faire une idée des incertitudes », explique le directeur adjoint de la prévision. A Météo-France, on aime répéter qu’un jour de prévision est gagné tous les dix ans : « La prévision à trois jours présente la même qualité aujourd’hui que la prévision à deux jours il y a dix ans. »
Toutefois, la prévision des orages reste un exercice difficile. « Quand on fait bouillir de l’eau dans une casserole, on sait qu’il y aura une première bulle qui apparaîtra, à un moment donné, au fond de la casserole, mais on ne sait pas où exactement ; les orages, c’est un peu pareil », résume le prévisionniste en chef. Les conditions propices au déclenchement de l’orage – conditions d’humidité, de vent, d’instabilité, de relief géographique – sont connues et identifiées, mais il est encore difficile de savoir où les orages vont prendre naissance avec précision.
Pour exemple, le 11 juillet, « on avait tous les ingrédients sur le Centre-Est et Nord-Est pour le développement d’orages très sévères, exceptionnels en termes de rafales de vent, de quantité de précipitations, de grêle, d’activité électrique, mais il n’était pas possible de préciser à la minute près, ni à la dizaine de kilomètres près, où les orages les plus sévères se produiraient », retrace M. Tabary. Toutefois, au regard de ces conditions orageuses réunies, la vigilance rouge a été décidée pour cinq départements en deuxième partie d’après-midi.
La carte de vigilance de Météo-France – depuis 2022, une double carte couvrant la journée en cours et le lendemain, jusqu’à minuit – est saisie par les prévisionnistes de l’institut. Deux fois par jour, les ingénieurs basés au siège, à Toulouse, et leurs collègues en région s’échangent données et observations. C’est au cours de ces conférences qu’ils prennent collectivement des décisions sur un niveau de vigilance pour chaque département.
La prise de décision répond d’un « effet d’entonnoir », selon Pierre Tabary. Les caractéristiques météorologiques des phénomènes sont croisées avec les sensibilités et les vulnérabilités locales, ou des enjeux particuliers. La circulation routière un jour de grands départs en vacances, des vents forts soufflant après de fortes précipitations qui ont fragilisé les arbres, ou des pluies sur des zones déjà saturées sont autant de facteurs pris en compte au moment de l’élaboration d’une vigilance, et du choix de la couleur.
Cette couleur se détermine en fonction de seuils, tels que la quantité de précipitations, les valeurs de rafales de vent, les températures ou la sévérité des orages. Ces seuils sont objectifs, mais ils peuvent « faire l’objet de modulation en fonction de [certains de ces] facteurs d’aggravation, qui sont soit connus des prévisionnistes, soit apportés par les échanges avec les services de l’Etat ». Les seuils de vigilance sont d’ailleurs établis en amont en lien avec les partenaires institutionnels de Météo-France, à savoir la direction générale de la sécurité civile, la direction générale de la prévention des risques et la direction générale de la santé.
Ils sont rediscutés plusieurs fois par an, l’occasion aussi d’évaluer la performance de la production vigilance. A chaque vigilance orange ou rouge émise durant les trois ou quatre mois écoulés, la pertinence du niveau de vigilance est vérifiée. Le taux maximal autorisé de non-détection des situations méritant une vigilance orange ou rouge se situe autour de 2 % ; celui de fausses alarmes, autour de 16 %. Avec les outils actuels, réduire le taux de non-détection reviendrait à accepter d’augmenter celui des fausses alarmes, or « suralerter n’est pas souhaitable ; cela peut avoir pour effet de décrédibiliser le dispositif » et de réduire la vigilance de la population.
Si la survenue d’un épisode qui aura déjoué les prévisions ne suffit pas à l’adoption d’une politique de suralarme, Météo-France tire bien des enseignements de ces manquements. A la mi-août 2022, un puissant épisode orageux sur la Corse avait fait cinq morts, alors que l’île n’apparaissait qu’en vigilance jaune. La vigilance orange n’a été déclenchée qu’à 8 h 30, soit un quart d’heure après le début du phénomène. Le raté a fait l’objet d’une enquête en interne qui a identifié un manque d’observations en mer. Une bouée a depuis été déployée au large d’Ajaccio.
Météo-France travaille ainsi étroitement avec l’Etat : en amont, pour la mise en place d’objectifs de performance de prévisions et la fixation des seuils de vigilance, puis, à tout moment, dès qu’une vigilance orange ou rouge se profile. A Toulouse, les prévisionnistes sont en lien avec l’échelon national des services de l’Etat, les ingénieurs en région avec leurs homologues de la sécurité civile.
Les échanges par téléphone sont constants et viennent « compléter » la vigilance, expliquent les raisons d’un passage d’une couleur à une autre ou précisent les incertitudes restantes. La mission de Météo-France est alors de fournir « sa meilleure estimation du risque météo possible » afin d’en avertir populations et autorités, ces dernières pouvant ensuite prendre des mesures d’évacuation, d’annulation d’événements ou de fermeture de parcs.
Au-delà de quarante-huit heures, les prévisionnistes disposent également d’outils déterminant le niveau de risque pour les sept jours suivants. A de telles échéances, les prévisions sont certes moins précises mais elles permettent « de mettre en éveil les services de sécurité », explique encore M. Tabary. « Un signal persistant, c’est de l’anticipation supplémentaire, aussi, une capacité supplémentaire pour l’Etat de mettre en place des mesures de prévention ou de prépositionner des moyens de secours. »
Sandra Favier
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